COLÈRE DE MAI
Une colère qui boursouffle la chape du conforme
sous laquelle bout l'âme des rêves jamais atteints
et, le 1er mai 1886 libère un sang rouge et noir
qui bat enfin aux portes de l'histoire.
Cette histoire des hommes déchaînés en flots
impétueux de guerre sociale et de fraternité,
pain tranché au couteau de l'amitié,
action directe où le poing levé est féminin,
la coupe partagée par des lèvres
qui susurrent déjà le temps des cerises,
celles qui tachent de sang les jabots fins
et dégorgent leur onctuosité rouge au fond des sillons.
Fleurs des champs pour des chants sans coq matinal,
pavés des villes qui piaillent à la gueule des morales enchristées
ces kystes comme un parasite qui ronge l'éphémère.
Fleurs d'hommes en coquelicot
qui moissonnent le blé levé,
et que germe le rouge et noir,
comme un habit sur nos idées
pour aller trinquer avec les dieux et la mort.
Fleurs de pavé pour des rivages qui vont à la mer,
des rivières de rêves qui remontent l'histoire des hommes,
cette histoire qu'on ne montre jamais,
celle qu'on caresse du bout de l'ongle
quand le rince-doigt est vide de sens,
celle qui est parure
dans les fables visqueuses du Tout Paris au Tout New-York
dans la solitude pressing du smoking Côte d'Azur
dans l'amidon bridé du col Mao.
Quand le bras levé sera débordé par les jambes en l'air,
alors la multitude de nos radeaux aura séché la misère
au caniveau moite des Présidents,
ces crustacés à la carapace décorée,
accrochés à leur rocher,
qu'on aura descendus comme des grains de raisin
sous la ligne de flottaison du boulevard Potemkine.
Anarchie et tendresse à l'écartèlement du cactus
dont les figues nous poussent comme un cri
à l'entrejambe.
A l'ombre rouillée du syndicat fidèle aux Joseph des siècles
poussera une histoire transsexuelle comme un boomerang.
A l'ombre de la cellule Tchernobyl,
avenue du littoral desquamé,
l'amour, enfin, est venu,
porté par une vague du Pacifique.
Le vent du 1er mai se lève
dans une nudité balnéaire.
Aux armes! les cormorans.
Des plénitudes écorchées nous attendent au delà
des corps mourants.
Déjà nous ouvrons les yeux du soleil,
des couleurs nous poussent au creux des mains,
des symphonies déboulent de nos dents
la soie crisse sur le sein tendu comme un poète.
Viens, jouis,
notre sang rouge et noir
bat aux tempes de l'histoire.